SEIZE
RÉPRIMANT UN FRISSON, LAUREL FIXA, SOUS LE CHOC, LE VISAGE qui hantait ses cauchemars depuis presque un an. Sa main, enroulée autour de celle de David, se referma convulsivement pour resserrer son emprise.
— J’ai passé de nombreuses années à le chercher… déclara Klea.
Enfin, lui et ses semblables. Mais la dernière fois que je l’ai aperçu — il y a environ deux mois –, il transportait une carte professionnelle dans sa poche avec quelques noms dessus.
Elle regarda Laurel.
— L’un d’eux était le tien.
Les mains de la jeune fille se mirent à trembler à la pensée que Barnes portait son nom sur lui.
— Et vous vous êtes contentée de relever mon nom et de le renvoyer à son petit bonheur de chemin ?
Laurel gardait un ton bas, mais sa voix contenait une grande dose de sifflement.
— Pas… tout à fait.
Le regard de Klea alla de droite à gauche avant qu’elle ne se penche en avant, remettant la photo à sa place dans l’enveloppe.
— Il… était plus fort que nous le supposions. Il s’est enfui.
Laurel hocha lentement la tête, s’efforçant de maintenir ses tremblements au minimum. Malgré ce que Jamison avait dit, Laurel s’était accrochée au minuscule espoir que Barnes était réellement mort après avoir été atteint de coups de feu l’an dernier. Mais ceci constituait la preuve – indéniable – qu’il traînait toujours dans les parages. Et qu’il la pourchassait.
— Tu ne sembles pas étonnée. Tu le connais donc ?
Mens, mens, mens ! lui criait son cerveau. Mais quel bien cela ferait-il ? Elle avait dévoilé son jeu la minute où elle avait reconnu Barnes. Il était trop tard pour nier.
— En quelque sorte. J’ai eu une prise de bec avec lui l’an dernier.
— Peu de gens sortent indemnes de prise de bec avec ce type.
La voix de Klea était monotone, mais la question sous-entendue douloureusement évidente : pourquoi respires-tu encore ?
Les pensées de Laurel se centrèrent immédiatement sur Tamani et elle sourit presque. Elle s’obligea à baisser les yeux sur une tache sur la table.
— J’ai juste eu de la chance, dit-elle. Il a posé son fusil au mauvais moment.
— Je vois.
Klea hochait la tête à présent, pratiquement avec sagesse.
— L’acier froid est à peu près l’unique chose que cet homme craint.
Que te voulait-il ?
Laurel fixa les verres réfléchissants de Klea ; elle aurait aimé voir les yeux de la femme. Elle devait inventer quelque chose – n’importe quoi – pour dissimuler la vérité.
— Tu peux lui dire, déclara David après un long moment.
Laurel le fustigea du regard.
— Je veux dire, ils l’ont déjà vendu ; personne ne peut te l’enlever.
De quoi parlait-il ? Il serra la cuisse de Laurel d’une manière significative, mais les alibis étaient le domaine de David : Laurel mentait très mal. La meilleure chose à faire était de jouer le jeu. Elle se couvrit le visage de ses mains et s’appuya contre le torse de David, faisant semblant d’être trop éperdue pour parler.
— Ses parents ont trouvé ce diamant alors qu’ils… rénovaient leur maison, expliqua David.
Laurel espéra que Klea n’avait pas remarqué la légère pause.
— Il était énorme. Ce type a essayé de la kidnapper, pour une rançon ou on ne sait quoi.
David lui caressa l’épaule et lui tapota le dos.
— Ç’a été une expérience traumatisante, assura-t-il à Klea.
David, tu es brillant.
Klea hocha lentement la tête.
— C’est logique. Les trolls ont toujours été des chasseurs de trésors.
Par nature, et parce qu’ils ont besoin d’argent pour se fondre dans notre monde.
— Des trolls ? s’enquit David, soutenant leur mascarade. Du genre qui vivent sous les ponts et se transforment en pierre à la lumière du jour, ce genre de trolls ? C’est ce qu’étaient ces créatures ?
— Ai-je parlé de trolls ? s’enquit Klea, ses sourcils arqués d’une manière comique au-dessus de ses lunettes de soleil. Oups. Bien – elle soupira en secouant la tête – maintenant que vous les avez vus, aussi bien que vous sachiez ce qu’ils sont réellement.
Elle regarda Laurel, qui s’était redressée, essuyant des larmes de crocodile.
— C’est une bonne chose que tes parents aient vendu le diamant. Au moins, Barnes ne se lancera sûrement pas à leur poursuite.
Cependant, ajouta-t-elle, tu sembles occuper une place permanente sur son radar. Il n’y a aucune chance pour que ces trolls se soient retrouvés par hasard à ta fête ce soir.
Elle marqua une pause.
— Je ne crois pas à des coïncidences aussi grandes.
— Que voudrait-il de moi maintenant ? s’enquit Laurel, échangeant un regard rapide avec David. Le diamant n’est plus là.
— Se venger, répondit simplement Klea.
Elle se tourna pour regarder Laurel en face, et cette dernière sentit l’intensité du regard de Klea à travers ses lunettes de soleil.
— C’est pas mal l’unique chose que les trolls aiment davantage que les trésors.
Laurel se souvint avoir entendu presque les mêmes paroles de Jamison lors de sa dernière journée à Avalon. Cela lui paraissait plutôt absurde d’entendre une vérité dans ce repère caché aux yeux du monde.
Klea replongea la main dans son sac, sortit une petite carte grise et la tendit à Laurel, qui la prit en hésitant.
— J’appartiens à une organisation qui… traque… les êtres surnaturels. Des trolls, surtout, parce que ce sont les seuls à s’efforcer d’infiltrer la société humaine. La plupart des autres l’évitent à tout prix. C’est mon équipe ici, mais notre organisation est internationale.
Elle se pencha en avant.
— Je pense que tu cours un grand danger, Laurel. Nous aimerions t’offrir notre aide.
— En échange de quoi ? demanda Laurel, toujours méfiante.
Une esquisse de sourire joua sur les lèvres de Klea.
— Barnes m’a échappé une fois, Laurel. Il n’est pas le seul avec un compte à régler.
— Vous voulez que nous vous aidions à l’attraper ?
— Certainement pas, répondit Klea en secouant la tête. Des enfants comme vous, sans formation ? Vous ne réussiriez qu’à vous faire tuer. Et, sans vouloir t’offenser, tu es plutôt… menue.
Laurel ouvrit la bouche pour répliquer, mais David lui serra brusquement la jambe et elle se mordit la langue.
Klea sortit un autre bout de papier de son sac ; cette fois, il s’agissait d’une carte géographique de Crescent City.
— J’aimerais placer quelques gardes autour de ta maison – la tienne aussi, David –, juste au cas.
— Je n’ai pas besoin de gardes, lança Laurel, songeant aux sentinelles postées près de son domicile.
Klea sursauta.
— Pardon ?
— Je n’ai pas besoin de gardes, répéta Laurel. Je n’en veux pas.
— Enfin, Laurel, vraiment. C’est pour ta protection. Je suis certaine que tes parents seraient d’accord. Je pourrais discuter avec eux, si tu le souhaites…
— Non !
Laurel se mordit la lèvre quand deux des hommes travaillant à quelques mètres d’eux s’arrêtèrent pour la regarder. Elle allait devoir dire la vérité à présent.
— Ils ignorent tout à son sujet, admit-elle. Je ne leur ai jamais parlé de Barnes. Je suis revenue avant qu’ils ne se soient aperçus de mon absence.
Klea sourit franchement.
— Vraiment ? Tu es une petite chose pleine de ressources, n’est-ce pas ?
Laurel réussit tout juste à ne pas lui lancer un regard mauvais.
— Mais sérieusement, Laurel. Il y a beaucoup de trolls en mouvement autour de Crescent City depuis un moment. Bien au-delà du niveau tolérable pour moi. Heureusement, poursuivit-elle avec une trace d’amusement dans la voix, nous affrontons des êtres que l’on peut facilement… arrêter.
Elle se frotta brièvement les tempes.
— Pas comme certaines autres créatures que j’ai eu l’honneur singulier de traquer à mort.
— D’autres créatures ? demanda David.
Klea cessa de se masser la tête et regarda David avec une expression lourde de sous-entendus.
— Oh, David ; les choses que j’ai vues. Il y a plus en ce monde que quiconque ose croire.
Les yeux de David s’arrondirent et il ouvrit la bouche pour parler.
— Cependant, j’ai bien peur que le temps nous manque pour en discuter ce soir, reprit-elle, fermant la porte à ses questions.
Elle regarda Laurel.
— J’aimerais que tu reviennes sur ta décision, dit-elle sérieusement.
Comme tu as réussi à sortir indemne de ta dernière rencontre, je pense que tu sous-estimes ces créatures. Toutefois, elles sont rapides, rusées et incroyablement fortes. Nous-mêmes avons assez de difficulté à les faire tenir tranquille et nous sommes des professionnels entraînés.
— Pourquoi le faites-vous, alors ? s’enquit Laurel.
— Que veux-tu dire : pourquoi ? Parce que ce sont des trolls ! Je les chasse pour protéger les gens, comme je vous ai protégés ce soir.
Elle hésita, puis continua.
— Il y a un certain temps, j’ai tout perdu… tout… à cause de monstres inhumains comme eux. J’ai choisi de consacrer ma vie à mettre fin à la souffrance qu’ils engendrent.
Elle cessa de parler une seconde, puis elle reporta son attention sur Laurel.
— Un grand rêve, je le sais, mais si personne n’essaie, il ne se réalisera jamais. Je t’en prie, aide-nous en nous permettant de t’aider.
— Je n’ai pas besoin de gardes du corps ou peu importe ce que vous offrez, insista Laurel.
Elle savait qu’elle avait l’air de mauvaise humeur, mais elle ne pouvait rien dire d’autre. Des fées sentinelles, c’était une chose, mais ceci ? Cette étrangère avec son campement militaire et ses gros fusils : Laurel ne désirait pas qu’ils tombent par hasard sur ses véritables gardiens. Plus vite elle et David partiraient d’ici, mieux ce serait.
Klea pinça les lèvres.
— D’accord, acquiesça-t-elle doucement, si c’est ainsi que tu vois les choses. Mais si tu changes d’avis, tu as ma carte.
Elle fit passer son regard de David à Laurel.
— Je me dois de vous dire que je vais quand même garder un œil sur vous deux. Je ne veux pas qu’il vous arrive quelque chose. Vous me semblez de bons enfants.
Elle marqua une pause, un doigt près de son menton, réfléchissant quelques secondes.
— Avant que vous partiez, reprit-elle lentement, j’ai quelque chose pour vous. Et j’espère que vous comprendrez mes raisons de vous l’offrir, ainsi que ma demande que vous n’en parliez pas.
Particulièrement à vos parents.
Laurel n’aimait pas ce que cela sous-entendait.
Klea fit signe à l’un des hommes qui passaient et il lui apporta une grande boîte. Elle en parcourut rapidement le contenu pendant quelques secondes avant d’en sortir deux pistolets dans des étuis de toile noire.
— Je ne prévois pas que vous en ayez besoin, dit-elle en leur tendant chacun une arme. Toutefois, si tu ne veux pas accepter les gardes, c’est le mieux que je peux faire. Je préfère me montrer trop prudente plutôt que de vous voir… bien, morts.
Laurel baissa les yeux sur le pistolet que Klea lui offrait, le manche en premier. De sa vision périphérique, elle vit David prendre le sien sans hésiter et murmurer « c’est génial ! », mais son regard resta fixé sur l’arme. Très lentement, elle tendit la main et toucha au métal frais. Il ne ressemblait pas tout à fait à celui qu’elle avait pointé sur Barnes l’an dernier, mais lorsqu’elle referma les doigts sur la crosse, il lui fit le même effet. Des images de Barnes surgirent dans sa tête, des visions teintées de rouge sang : le sang de David sur le bras de Laurel ; celui qui avait mouillé l’épaule de Barnes quand elle avait tiré sur lui ; et le pire : l’expression sur le visage de Tamani quand il avait reçu des balles, deux, venant d’une arme semblable à celle-ci.
Elle retira brusquement sa main comme si elle s’était brûlée.
— Je n’en veux pas, affirma-t-elle à voix basse.
— Et c’est tout à ton honneur, déclara calmement Klea. Mais je pense tout de même…
— J’ai dit que je n’en voulais pas, répéta Laurel.
Klea pinça les lèvres.
— Vraiment, Laurel…
— Je vais le prendre pour l’instant, intervint David, tendant la main pour saisir la deuxième arme. Nous en rediscuterons plus tard.
Klea regarda David, son expression indéchiffrable derrière ses stupides lunettes réfléchissantes.
— J’imagine que ça ira.
— Mais… commença Laurel.
— Allons, dit David d’une voix douce et gentille. Il est presque minuit ; tes parents vont s’inquiéter.
Il posa un bras autour de Laurel et commença à la guider vers la voiture.
— Oh, reprit-il, s’arrêtant pour se tourner vers Klea, et merci. Merci pour tout.
— Ouais, grommela Laurel sans se retourner. Merci.
Elle se hâta vers la Civic et monta avant que David n’ait le temps de lui ouvrir la portière. Son dos la faisait souffrir à présent ; tout ce qu’elle désirait, c’était de s’éloigner de Klea et de son campement et de rentrer à la maison. Elle démarra la voiture avant même que David soit monté, et dès qu’il boucla sa ceinture de sécurité, elle passa en marche arrière et tourna le véhicule dans la direction opposée. Elle retourna sur la route de fortune aussi vite qu’elle osait et elle observa Klea dans son rétroviseur jusqu’à ce que la route s’incurve et qu’elle disparaisse en un battement de paupière.
— Wow, dit David alors qu’ils s’engageaient sur l’autoroute.
— Je sais, acquiesça Laurel.
— N’était-elle pas géniale ?
— Quoi ?
Ce n’était pas ce que Laurel avait en tête.
Mais David avait déjà l’esprit ailleurs. Il sortit le pistolet offert par Klea et défit le bouton à pression de l’étui.
— David ! Ne sors pas ça, l’avertit Laurel en essayant de regarder David et l’arme et la route en même temps.
— Ne t’inquiète pas. Je sais ce que je fais.
Il sortit le pistolet et le fit tourner dans ses mains.
— SIG SAUER, dit-il.
— Sig quoi ?
— SAUER. C’est la marque. C’est un vrai bon pistolet. Coûteux, ajouta-t-il. Quoique loin d’être aussi formidable que celui de Klea.
As-tu vu la chose ? Un automatique. Je parie qu’il s’agissait du Glock 18.
— Allô ! David de l’Association de tir, lança Laurel avec mauvaise humeur. D’où sors-tu ? J’ignorais que tu aimais les armes à ce point.
— Mon père en possède des tas, dit-il distraitement, caressant toujours l’arme à feu dans sa main. Nous avions l’habitude d’aller à la chasse parfois, quand j’étais plus jeune, avant qu’ils ne se séparent. Il m’amène encore tirer au stand, à l’occasion, lorsque je lui rends visite. Je suis plutôt bon tireur, en fait. Ma mère n’est pas une adepte ; elle préfère le microscope. Une raison de plus pourquoi ils n’étaient pas faits pour vivre ensemble, j’imagine.
Il fit basculer le barillet et Laurel entendit un clic.
— Sois prudent ! hurla-t-elle.
— Il est verrouillé ; aucune inquiétude.
Il fit cliquer autre chose et le chargeur glissa hors de l’arme.
— Chargeur extra long, déclara-t-il, débitant les faits à toute allure, sur le même ton que le père de Laurel pourrait utiliser pour vérifier ses stocks. Dix coups au lieu de huit.
Il éjecta une balle et la leva devant la vitre.
— Calibre .45.
Il siffla doucement.
— Ces balles pourraient causer de sérieuses blessures.
Les phrases passaient par la tête de Laurel comme un grotesque disque brisé. Calibre .45 ; chargeur extra long ; dix coups ; sérieuses blessures. Calibre .45 ; chargeur extra long ; dix coups ; sérieuses blessures.
— Ça suffit, déclara Laurel à travers ses dents serrées.
Elle freina brusquement et la voiture s’arrêta sur le bord de la route en faisant une embardée.
David leva sur elle un regard perplexe mêlé de ce qui ressemblait presque à de la peur.
— Quoi ?
— Que veux-tu dire : quoi ?
— Qu’est-ce qui cloche ?
Son ton sincère et innocent lui indiqua qu’il ne soupçonnait pas du tout le motif de sa colère.
Laurel replia ses bras sur le volant et posa son front dessus.
Elle prit plusieurs profondes respirations et s’obligea à rester calme.
David ne dit rien, attendant seulement qu’elle maîtrise sa colère et rassemble ses pensées.
Enfin, elle brisa le silence.
— Je ne pense pas que tu comprennes ce que tout cela signifie pour moi.
Quand elle n’obtint pas de réaction de David, elle poursuivit.
— Ils nous surveillent à présent. Peut-être nous ont-ils toujours surveillés, je l’ignore. Et pour te dire franchement, je crois sincèrement que tu seras plus en sécurité. Mais comment savons-nous qu’elle ne chasse pas aussi les fées ?
David s’étrangla de rire tant il n’y croyait pas.
— Oh, allons, elle ne ferait pas ça.
— Ah non ? demanda-t-elle, se tournant pour regarder David en face, le ton mortellement sérieux.
— Bien sûr que non.
Cependant, sa voix avait perdu un peu de son assurance.
— A-t-elle dit à un moment ou à un autre pourquoi elle voulait capturer les trolls ? Ou les tuer, ce que nous pouvons supposer sans trop de problèmes, je pense.
— Parce qu’ils essaient de nous tuer.
— Elle n’a jamais dit cela. Elle a seulement déclaré que c’était parce qu’ils étaient des trolls.
— N’est-ce pas une raison suffisante ?
— Non. On ne peut pas chasser des choses simplement à cause de ce qu’ils sont ou bien parce que leurs semblables vous ont fait quelque chose. Je ne peux pas supposer qu’il n’existe aucun bon troll, comme je ne peux pas présumer qu’il n’y a pas de mauvaises fées. Le fait qu’elle chasse la bonne chose ne signifie pas qu’elle le fait pour le bon motif.
— Laurel, dit calmement David, une main sur son épaule ; tu en fais un débat de sémantique. Je pense vraiment que tu fais une tempête dans un verre d’eau.
— C’est parce que tu es un humain. Ce pistolet qui t’impressionne tant ? Je ne peux pas ressentir la même chose, car j’ai peur qu’un jour il soit pointé sur moi si elle découvre ce que je suis.
David s’immobilisa, le choc nettement inscrit sur son visage.
— Je ne laisserais pas cela se produire.
Laurel rit sèchement.
— Autant j’apprécie ton intention, penses-tu vraiment que tu pourrais l’arrêter ? Elle et tous ces – je ne sais pas – ninjas qui travaillent pour elle ?
Laurel entrelaça ses doigts à ceux de David.
— J’ai une grande foi en toi, David, mais je doute que tu sois très doué pour stopper des balles de pistolet.
David soupira.
— Je déteste me sentir impuissant. C’est une chose de prendre ma propre vie en main – il eut un petit rire ironique – je suis un adolescent fou ; nous faisons ce genre de truc tous les jours.
Il reprit son sérieux et garda le silence quelques instants.
— Toutefois, c’est une chose totalement différente quand toi, et Chelsea, et Ryan et tous les autres jeunes à la fête courent un danger. Tout est devenu très réel ce soir, Laurel. J’ai eu peur.
Il rit.
— Non, j’étais terrifié.
Laurel baissa les yeux sur ses genoux et tordit le bord de sa blouse entre ses doigts.
— Je suis désolée de t’avoir mêlé à tout cela, marmonna-t-elle.
— Ce n’est pas cela. J’aime que tu m’aies mêlé à tout cela.
Il prit ses deux mains et les retint jusqu’à ce qu’elle le regarde.
— J’adore faire partie de ton monde. Et malgré le fait que je suis presque mort l’an dernier, c’est la chose la plus excitante qui ne m’est jamais arrivée.
Il rit.
— Avec l’exception possible de ce soir.
Il leva ses mains à ses lèvres et les embrassa à tour de rôle.
— J’aime ce que tu es et je t’aime toi.
Laurel sourit faiblement.
— Il me semble seulement que nous avons besoin d’aide.
— Nous ne sommes pas seuls, insista Laurel. Il y a des fées sentinelles qui surveillent ma maison depuis six mois.
— Mais où se trouvaient-elles ce soir ? demanda David, élevant le ton. Elles n’étaient pas là. Klea était là. Que tu aimes cela ou non, elle nous a sauvé la vie et je pense que cela lui vaut un peu de notre confiance.
— Donc, tu veux y retourner et tout lui raconter ? Lui dire que je suis une fée et lui apprendre le véritable motif qui pousse Barnes à me pourchasser ? s’enquit fiévreusement Laurel.
David lui prit les mains et les pressa entre les siennes. C’était un geste qu’il faisait toujours pour la calmer.
Elle concentra son attention sur leurs mains jointes et inspira longuement plusieurs fois.
— Bien sûr que non, répondit doucement David. Il n’y a aucune raison qu’elle en sache davantage que maintenant. Je pense simplement que tu devrais lui faire suffisamment confiance pour accepter un peu de son aide. Pas des gardes, dit-il avant que Laurel ne puisse protester, mais si elle veut garder un œil sur nous quand nous ne sommes pas chez toi, est-ce une mauvaise chose ?
— J’imagine que non, marmotta Laurel.
— Nous avons mis de nombreuses personnes en danger ce soir, Laurel. Maintenant, je sais que nous agirons plus prudemment à l’avenir, mais au cas où une telle situation se reproduisait, ne désirerais-tu pas – il souleva le pistolet, qui paraissait trop anodin rangé dans son étui – avoir une autre tactique de défense ?
— Mais est-ce vraiment la meilleure façon ? Elle vient juste d’armer deux mineurs, David. As-tu la moindre idée de l’illégalité de la chose ?
— Mais c’est pour notre propre bien ! La loi ne comprendrait rien à tout ceci. Nous devons prendre les choses en mains.
Il marqua une pause.
— Tu ne t’inquiétais pas de la loi l’an dernier quand Tamani a tué ces deux trolls.
Laurel resta silencieuse un long moment. Puis, elle se redressa et le regarda droit dans les yeux.
— As-tu déjà tiré sur quelqu’un, David ?
— Bien sûr que non.
— Déjà pointé une arme sur une autre personne ?
Il secoua la tête.
— Vu quelqu’un se faire tirer dessus ?
Il secoua la tête avec pondération cette fois, et très lentement.
— J’ai vécu les trois situations, reprit Laurel, faisant durement cogner ses doigts contre le torse de David. Après que nous avons échappé à Barnes, j’ai fait des cauchemars presque toutes les nuits.
J’en fais encore, parfois.
— Moi aussi, Laurel. J’ai eu une peur bleue.
— Barnes t’a donné la frousse, David. Tu sais ce qui m’effraie dans mes cauchemars ? Moi. J’ai une peur bleue de moi-même. Parce que j’ai ramassé ce pistolet et j’ai tiré sur quelqu’un.
— Tu étais obligée.
— Penses-tu que cela soit important ? Je me fous de la raison pour laquelle je l’ai fait. Le fait est que je l’ai fait. Et l’on n’oublie jamais ce que l’on a ressenti. À ce moment où le pistolet recule dans sa main et que l’on voit le sang apparaître sur la personne devant soi.
On ne l’oublie jamais, David. Alors, pardonne-moi si je ne partage pas ton enthousiasme de me voir forcée d’accepter une autre arme.
David ne dit pas un mot pendant longtemps.
— Je suis désolé, murmura-t-il encore. Je n’ai pas pensé.
Il marqua une pause, puis laissa échapper un soupir de frustration.
— Sauf que tu ne comprends pas vraiment non plus. Tu as des fées sentinelles et des potions. Je n’ai rien. Ne peux-tu pas au moins voir pourquoi je me sens plus à l’aise d’avoir un certain moyen de me défendre ?
— Un pistolet te donne l’impression d’être grand et puissant, n’est-ce pas ? s’enquit brusquement Laurel.
— Non ! Cela ne me donne pas l’impression d’être puissant ou plus homme ou toute autre stupidité que les gens disent dans les films.
Mais cela me donne le sentiment d’agir, en quelque sorte. Comme si j’aidais, d’une certaine façon. Est-ce si difficile à comprendre ?
Laurel s’apprêta à répliquer, puis referma la bouche. Il avait raison.
— J’imagine que non, marmonna-t-elle.
— D’ailleurs, reprit David avec un sourire hésitant, tu sais jusqu’où j’irais pour la technologie. Les microscopes, les ordinateurs, les pistolets ; je les adore tous.
Cela prit quelques secondes, mais elle lui rendit mollement son sourire.
— Ça, c’est tout à fait vrai. Je me souviens comme tu t’es transformé en Lawson de CSI quand j’ai fleuri l’an dernier.
Ils rirent – de ce genre de rire qui ne vous donne pas un sentiment de bonheur, mais au moins vous fait vous sentir mieux.